L'Express du 09/01/2003
Europe
Chers souverainistes...
Quelle prémonition! Quelle prescience! Non, vraiment, nous autres «européistes» (c'est ainsi que vous disiez) n'avons plus qu'à nous incliner devant vous, les souverainistes. Vous l'aviez vu. L'euro, disiez-vous, ne se fera pas, et, s'il venait, malgré tout, à voir le jour, son échec sera retentissant. Vous l'aviez dit.
On entend encore votre rire, mais l'euro s'est partout imposé. Il s'est même redressé. On n'ose pas penser à l'état dans lequel seraient, aujourd'hui, les devises européennes si elles n'avaient pas uni leurs forces, mais on attend toujours de vous que vous reconnaissiez votre erreur.
On attend toujours, chers souverainistes, que vous ayez le courage et l'honnêteté, la dignité de dire: «Vous aviez raison; nous avions tort.» On l'attendait parce que des intellectuels et des hommes politiques ne peuvent pas s'être à ce point trompés sans en tirer des conclusions et que c'est ensemble que nous devons, maintenant, avancer.
Alors, un effort! Ouvrez les yeux! L'Europe est là. Non seulement l'euro s'est fait, non seulement il est un succès, mais l'Europe avance. L'Union s'est élargie. Le débat sur sa place, son identité, ses frontières finit par s'ouvrir. La France et l'Allemagne se retrouvent. Nous aurons, dans un an, de nouvelles institutions, imparfaites mais meilleures, décevantes mais permettant d'aller de l'avant, à 25 et, bientôt, plus.
Dans les habituels psychodrames de ses négociations au finish, l'Europe ne cesse de progresser, car les Européens sont si conscients qu'ils ne seraient pas plus forts, mais plus faibles, sans unité que personne, pas même vous, ne veut vraiment la freiner. A chaque étape, toutefois, nous la montrons du doigt. Pourquoi, en effet, l'Europe nous semble-t-elle toujours tellement en retard, si absente et si divisée, tellement défaillante? Il y a une raison à cela. A chaque progrès, nous découvrons celui qui devrait s'ensuivre, mais reste à faire. Un exemple. Vous dénonciez, en combattant l'euro, l'indépendance donnée à la Banque centrale européenne. Vous disiez que, sans un gouvernement pour définir, avec elle, une politique de croissance, cette banque constituait une hérésie. C'était vrai, mais ce n'était pas la monnaie unique qu'il fallait rejeter. C'était le gouvernement économique de l'Europe qu'il fallait promouvoir, et l'on a, désormais, besoin de vous, de chaque citoyen européen, pour le faire.
Vous dites que l'Europe n'est qu'un nain politique, un corps sans volonté. Elle l'est, en tout cas, trop. Toutefois, pourquoi préférez-vous l'aphasie de l'unanimité au risque qu'une décision majoritaire ne vous déplaise? Tout démocrate doit accepter la loi de la majorité. Or vous la refusez, vous, en pourfendant, qui plus est, le manque de démocratie européenne.
Ce manque est patent, mais, plutôt que de vous draper dans l'évidence, luttez pour la démocratie, pour un exécutif et un législatif élus par l'électorat européen et responsables devant lui! Chers souverainistes, chère gauche socialiste, vous qui prenez, maintenant, leur relais en allant chercher à Bruxelles la cause de vos revers, devenez donc, plutôt, fédéralistes! C'est le seul moyen de défendre la souveraineté - son avenir, pas son souvenir: celle de l'Europe.
http://www.lexpress.fr/idees/tribunes/dossier/guetta/dossier.asp?ida=368421